La langue, le traducteur et le client
Comme pour tous les métiers, il existe des règles, qui sont assez logiquement le fruit de l’expérience. Lorsqu'on fait faire une traduction, autant les connaître.
1. Rien n’est plus complexe qu’une langue
- Alors que les ordinateurs battent depuis une trentaine d’années les meilleurs joueurs d’échec du monde, la « traduction automatique » qui fait beaucoup parler d’elle, donne des résultats inutilisables dans un contexte professionnel.
2. Il est facile d’être traducteur, (il n'existe aucune barrière à l'entrée), mais difficile d’être un bon traducteur.
- Traduire, cela paraît facile et à la portée du premier « bilingue » venu. Dans la réalité, c’est un métier difficile qui demande de l’expérience, du professionnalisme et de l’engagement. Il s’apparente plus à celui d’un avocat d’affaires (la rémunération en moins, le stress et le quasi-engagement de résultat en plus) qu’à une aimable activité d’amateur avec laquelle il est parfois confondu.
- Les professeurs de langue (même s’ils appartiennent à des institutions prestigieuses) ne sont pas des traducteurs – pas plus qu’un professeur de mathématiques n’est capable, a priori, d’être comptable.
- Les diplômes ne garantissent pas non plus les compétences des traducteurs. Ni qu'ils sachent écrire sans faire de fautes d'orthographe ou de grammaire assez basiques dans leur propre langue maternelle.
3. Un traducteur ne traduit que vers sa langue maternelle
- Il n’y a que sa langue maternelle que l’on maîtrise en profondeur, et bien des traductions jugées ridicules par des natifs ont été réalisées par des traducteurs qui pensaient être des exceptions, ou faire une exception (le texte est très court, très facile…)
4. Un traducteur ne doit exercer que dans un petit nombre de couples de langues et de spécialités.
- Être polyglotte est très impressionnant, mais n’a pas grand-chose à voir avec des capacités de traducteur
- Si un traducteur ne connaît ni ne maîtrise un domaine, ses compétences linguistiques ne lui serviront pas à grand-chose s’il ne comprend pas ce qu’il traduit : on ne traduit pas des mots (si c’était le cas, les logiciels feraient l’affaire) mais du sens.
- Et de même que nous connaissons fort peu d’exemples de médecins qui sont également juristes – la probabilité pour qu’un traducteur soit spécialisé en traduction juridique et médicale est proche de zéro.
- Si vous n’allez pas voir un dermatologue lorsque vous avez un rhume, il y a des raisons. Ces mêmes raisons s’appliquent en traduction.
5. Un traducteur n'est pas forcément interprète
- Un traducteur (qui traduit de l’écrit) n’est pas forcément interprète (qui traduit un discours oral). L’interprétation de conférence nécessite un entraînement particulier, et il n’est pas question de faire appel à des amateurs ou des débutants, dès lors que l’on sort du cadre informel ou personnel.
6. Un traducteur assermenté n’est pas meilleur, ni plus titré qu’un traducteur non-assermenté
- Bien qu’étant de quasi-auxiliaires de justice, les traducteurs assermentés ne passent pas un examen et encore moins un concours, car ils sont recrutés directement par les Cours d’Appel, en fonction des besoins de celles-ci, mais pas forcément des capacités des traducteurs qu’elles seraient le plus souvent bien en peine d’évaluer.
7. Technique ne veut pas forcément dire difficile.
- Inversement un document non technique que vous estimez facile à traduire ne le sera pas comme vous vous l’imaginez. Dans la pratique, des textes faciles qui ne posent pas le moindre problème de compréhension au traducteur, peuvent s’avérer extrêmement difficiles à traduire.
8. Ne jouez pas au prof !
- Même si c’est une pratique de votre profession, les « tests de traduction » ne servent à rien, s’ils n’ont pas été réalisés dans les mêmes conditions et que vous les faites évaluer par vos collègues qui ne sont pas plus des spécialistes dans leur langue que vous ne l'êtes vous-même en français.
- Les tests permettent d’éliminer les mauvais traducteurs (le plus souvent), pas de sélectionner les meilleurs. Il y a un moment où il faut laisser faire les professionnels que sont les agences de traduction.
9. Choisissez votre prestataire de traduction comme votre médecin ou votre avocat, pas comme du nettoyage de bureaux
- Vous viendrait-il à l’idée de leur faire passer des tests ?
- Comme pour votre médecin ou votre avocat, s'il vous paraît compétent, honnête et qu’il y a de bonnes raisons de penser qu’il vous conseillera utilement, ce n’est déjà pas si mal pour un début…
10. Ne demandez pas un prix au kilo !
- Si vous demandez à un primeur ou à un poissonnier quel est son prix au kilo, il vous demandera vraisemblablement un kilo de quoi ; et si vous lui répondez des champignons ou des crustacés, ce ne sera pas suffisant : il y a une petite différence entre le prix au kilo des champignons de Paris et la truffe noire du Périgord (qui est aussi un champignon) ; ou entre le prix de la crevette et du homard breton.
- En traduction, si vous voulez avoir un prix, il faut envoyer votre document. TOUS les prestataires de service sont soumis au secret professionnel (article 226-17 du code pénal). Aucun professionnel sérieux ne s’engagera sans avoir pu examiner et évaluer la nature du travail et la charge de travail qu’elle implique.
11. You get what you pay for
C'est la mauvaise nouvelle de ce billet : Il n'y a pas de "bons plans" en traduction, il n'y a que des réalités.
- Soit vous achetez un prix, et vous comprendrez pour quoi "cheap" en anglais signifie aussi de mauvaise qualité.
- Soit vous achetez une traduction qui se trouve avoir un prix - par ailleurs modeste en comparaison d'autres prestations intellectuelles (droit, comptabilité, graphisme, informatique...) et vous obtiendrez ce que vous étiez venu chercher.